vendredi 26 septembre 2014

L'Adversaire par Emmanuel Carrère


L'Adversaire
Jean Claude Romand a réussi sa vie : brillantes études de médecine, chercheur a l'OMS, famille aimante, travail en Suisse et belle maison.

Sauf que.. et je ne révèle rien, si vous lisez ce livre, c'est sans nul doute pour en savoir plus sur ce fait divers, toute sa vie professionnelle est fausse, depuis qu'il a raté sa deuxième année de médecine. Cela fait 18 ans qu'il ment à tout le monde, et vit en escroquant ses proches, leur faisant miroiter de mirifiques placements en Suisse.
Jusqu'au jour ou il ne peut plus mentir, et qu'il tuera sa femme, ses enfants, et ses parents, avant de tenter de se suicider. Ou de faire semblant de se suicider. Car quel degré de confiance peut on lui accorder, maintenant ?

C'est un fait divers incroyable, et pourtant vrai, et avec une fin terrible. Emmanuel Carrère a été très troublé par cette vie de mensonge, et il a voulu contacter Romand pour en savoir plus.
Ce livre est donc à la fois une sorte de biographie (la vie de Romand), et d'autobiographie ( les réactions de Carrère, ses contacts avec Romand, son témoignage du procès, ses interviews des amis proches du criminel.) sur une histoire pour laquelle j'ai du mal à trouver un qualificatif pertinent et valable : notamment, parce que le "héros" du livre a assassiné, de sang-froid, sa femme, ses enfants, et ses parents. Fascinant semble indécent, vis a vis des conséquences, et pourtant ça l'est.
C'est bien écrit, raconté de façon plutôt neutre. L'auteur nous fasse partager ses doutes a maintes reprises : doutes sur Romand, doutes sur le bien fondé de sa démarche d'écrivain. En tout cas, il est surtout dans le récit, plutôt que dans l'explication définitive : c'est à nous lecteurs de nous faire notre point de vue final.

vendredi 19 septembre 2014

House of Suns par Alastair Reynolds



House of Suns se passe dans un futur lointain (environ six millions d'années), ou presque tout est possible (clone, intelligences mécaniques, barrières de protection autour d'une étoile devenue nova, et j'en passe), sauf les déplacement plus rapide que la lumière, car cela causerait un paradoxe : pour faire simple, ce type de déplacement permettrait à une information sur un action d'arriver avant que l'action soit faite, ce qui ferait mal à la causalité ).
Les deux principaux héros et narrateurs du livre sont Campion et Purslane (des noms de fleurs, que j'ai du mal à traduire..), deux membres de la Maison des Fleurs, aussi appelés House Gentian. Ce sont en fait deux "shatterlings" (une traduction serait peut-être "éparpillés" : fait, tous les membres d’une la même maison sont tous clones (mais non identiques) de la même personne, et font des Circuits de plusieurs dizaines de millénaires dans la galaxie. Les circuits se terminent tous en même temps. C’est alors l’occasion de grandes fêtes, appelés Réunion, ou tous les membres de la Maison se retrouvent pour notamment mettre en commun leurs souvenirs et enrichir la base de données des connaissances de leur Maison.
Ces humains ne sont pas immortels, mais deux technologies leur permettent de "vivre" pendant six millions d'années : une sorte de mise en stase (hibernation), et une drogue permettant d'accélérer ou décélérer le temps pour un individu.
Nos deux héros (qui s’aiment, ce qui est très mal vu) échappent de justesse au massacre de leur Maison lors de la 32eme Réunion, sauvés par leur retard d’une cinquantaine d’ans. Il va leur falloir trouver qui est derrière cet acte. Et dont la raison se cache dans le passé proche, et lointain, de leur maison.
Ayant lu le livre il y a au moins six mois, je me trouve un peu effrayé par l’idée de ne pas le décrire correctement. Dans mon résumé, j’ai beaucoup insisté sur les aspects temporels – qui sont vertigineux, pour ne pas dire épiques, mais j’aurai pu aussi parler des différentes civilisations rencontrées, fascinantes, ou de certains décors, extraordinaires. L’intrigue aussi est passionnante, une sorte d’enquête – hard sf. Et la contrainte forte de l’univers « pas de voyages hyper-luminiques » est pleine d’implications sur le récit, qui contribue au dépaysement.
Pour ce qui est du style, la narration (toujours à la première personne) est alternée entre les deux héros, et leur ancêtre commun, qui passe la plupart du récit dans une réalité virtuelle très fantasy.
Au final, c’est très prenant, impressionnant et fascinant : du grand spectacle, et de l’émerveillement. Terminal World reste pour moi le meilleur Reynolds, mais House of Suns est de très bonne facture.

mardi 16 septembre 2014

La trilogie Paradox, par Rachel Bach



C'est l'histoire d'un soldat d'élite talentueux, avec son armure de puissance faite sur mesure, adorant l'adrénaline, buvant comme un trou (mais pas pendant le travail !), et n'ayant rien contre les coups d'un soir. Son ambition est de rentrer dans le corps des Dévastateurs, l'élite des armées du Roi Sacré de l'empire humain de Paradoxe. Après une carrière brillante dans l'armée, puis dans les meilleurs mercenaires, c'est la dernière étape d’une ambition née à l’adolescence. C'est juste que 27 ans, c'est trop jeune (manque d'expérience) pour faire partie des Dévastateurs. Par contre, on lui parle d'un boulot de garde de vaisseau spatiale, un truc a priori inintéressant, mais avec un capitaine et un navire connu pour leur malchances, leurs prises de risques, et la mortalité de l'équipage : l'important étant cependant qu'en survivant à ce job, il est facile de se faire remarquer par les recruteurs des Dévastateurs. Devi remercie donc son amant-ami, et va de suite s'engager pour ce travail. Elle ne se doute pas de ce qui va lui arriver.
J'ai essayé pendant ce premier paragraphe de faire planer le plus possible le doute sur le genre de l'héroïne (ce qui est plus dur en français qu'en anglais..). Car usuellement, on ne s'attendrait pas à voir une femme dans ce type de personnage. - à tort, mais usuellement les auteurs hommes de ce sous-genre de la SF restent dans le cliché standard du guerrier, et c'est sans doute mieux pour mal d'entre eux, vu leurs seconds rôles féminins.
J'ai découvert le premier chapitre de ce livre à la fin d'Ancillary Justice : la narration (à la première personne) était enjouée, l'héroïne immédiatement sympathique, et je me suis dit que de la military-SF écrit par une femme, cela pouvait valoir le coup d'oeil (c'est plutôt rare, en plus) . En me renseignant un peu sur le livre et son auteur, j'ai été un peu surpris de voir l'étiquette de "Action-packed romance", mais bon, la romance ne m'a jamais fait peur. Et tant mieux !
C'est une trilogie pleine d'action, mais aussi de découvertes. Du vrai space opera (mais d'un point de vue de "fantassin", on ne verra pas de grandes batailles), avec des personnages ambivalents, des choix moraux pas toujours évidents pour nôtre héroïne, un peu de romance donc (mais assez peu somme toute), et surtout de l'aventure avec un grand A.
J’ai été heureusement surpris par le tour qu’a pris l’intrigue, et si l’univers est assez peu défini et plutôt classique, il est intrigant, entre son empire terrien qui s’oppose au royaume de Paradox et son roi de droit divin, ses trois races extra-terrestres, et ses mystères.

Tout cela dans un style très plaisant, avec une héroïne attachante, une auteure qui connait son métier, et qui nous offre un angle de vision différent sur la mil-scifi. Ce n'est pas un chef d’œuvre, mais un divertissement de qualité.

vendredi 12 septembre 2014

Ancillary Justice, par Ann Leckie



Sur une planète perdue ou l'a mené la quête impossible qu'il mène depuis 20ans, Breq retrouve dans la neige, mourant(e) - je reviendrai sur cet accord incertain - quelqu'un qu'il a connu il y a de cela un millénaire.
Breq, à l'époque, était le vaisseau Justice de Toren qui les transportait tous les deux.
En effet, Breq était l'IA d'un vaisseau de guerre de l'Empire Radch, et en même temps incarné(e) dans des ancillaires : des corps humains (dont on a détruit "l'âme"), en général les perdants des guerres coloniales et d'annexions de l'empire. Il / elle contrôle/est hébergé dans/ possède plusieurs dizaines de ces corps simultanément, ce qui lui permet d'être partout à la fois, ou presque, et d'en même temps servir d'ordonnance a son officier (un vrai humain), monter la garde autour de leur résidence, et enquêter sur une mystérieuse contrebande dans une ville récemment conquise.
Enfin, cela lui permettait, car il/elle est depuis vingt ans seul (e), isolé (e), une anomalie dont personne ne soupçonne l'existence.
Ce roman a eu trois prix cette année, dont le dernier en date, et le plus prestigieux peut-être, le Hugo. Il y a plusieurs choix stylistiques intéressants, sur le papier. Le premier est d'alterner la narration (à la première personne) entre le présent et une période - déterminante pour le/la heros/ine - d'il y a 20 ans. Ce n'est pas forcément original (cf Ian Banks), mais c'est bien mené.
Plus original, l'auteur a décidé que le genre par défaut de son roman serait le féminin, en rajoutant par-dessus/avec que la civilisation du narrateur n'attache pas d'importance au genre, avec un langage qui ne le marque pas, et un narrateur pour qui la notion même de sexe n'a pas d'importance. Ne le lisant pas dans ma langue maternelle, je ne suis pas certain d'avoir mesuré toute la mesure de ce changement de genre par défaut dans le langage, mais pour ce que j'en ai donc perçu, et de la hauteur de mon privilège masculin, je n'ai pas vraiment été convaincu.
Les corps multiples du narrateur (j'abandonne les jeux d'accords et de genre, trop lourds) sont l'objet de quelques passages intéressants, ou le multi-doublement (les ancillaires étant capable de pensée relativement indépendantes) nous est décrit sous la forme de perceptions multiples et d'actions simultanées.
De même, le fait que l'Empereur existe en plusieurs centaines de corps, capable d'actions indépendantes, voir cachées, a des ramifications intrigantes, qu'on découvrira au cours de la lecture comme assez centrale.
Enfin, l'univers, qui se dévoile par touche, a l'avantage de ne pas être trop mystérieux (je te regarde, Steven Erikson et ton Mazalan Empire..) dès le départ. La structure géopolitique de l'empire est basée sur l'expansion (par la conquête continuelle), mais il s'est heurté à une race qui l'a bloqué dans son élan, ce qui commence - dans le présent du livre - à mettre en danger sa structure sociale. Là encore, c'est une ramification qui se rattachera à l’intrigue principale.
Cependant, malgré une certaine richesse, et des idées intéressantes, je suis resté sur ma faim. Il y a peu de développement de personnages, le rythme est parfois un peu lent, et l’histoire se termine presque brutalement.
J’en garde une impression mitigée, un sentiment d’inachevé, et je doute que cela ait été le meilleur choix pour le Hugo. Il s’agit cependant du premier volume d’une trilogie « lâche », et je reste curieux de voir comment cela va évoluer à la fois pour le narrateur, et l’univers.